Locus

Espace, Ordre et Information
Space, Order and Information

Les mutagrammes, que les Tambours des astres reprennent, ont été imaginés pour visualiser des opérations mathématiques effectuées sur des combinaisons d’éléments. Il s’agit de voir comment les combinaisons ABCDE, ABCED… se transforment en les combinaisons ADCEB, AECDB… Cette exploration se situe dans une branche des mathématiques bien établie appelée “combinatoire”. Elle s’inscrit toutefois dans le sillage d’un ensemble d’interrogations plus vastes portant sur la question de l’espace. La question posée est la suivante : un système combinatoire permet-il de construire un espace comparable aux espaces conventionnels des mathématiques et du monde physique ?  Cette voie d’étude a été choisie car la combinatoire est le siège de processus génératifs simples donnant naissance à une multitude de formes.

Partant d’un questionnement relatif à l’espace, le jeu combinatoire fait pourtant surgir la question de l’information et de son ordonnancement. Le mot “information” lui-même le suggère avec sagacité puisqu’il signifie étymologiquement “réalisation d’une forme à l’intérieur”, capture (immatérielle) d’une forme (matérielle).

Pour cause – au-delà de leur parenté avec le Yi-King chinois – les permutations se trouvent être semblables aux systèmes d’écriture que nous utilisons car elles présentent, à l’instar de celles-ci, l’avantage de l’économie informationnelle. Avec un petit nombre de briques de base, telles que les lettres de l’alphabet ou les caractères binaires de l’informatique, on peut construire un grand nombre de “mots” ou “blocs informationnels” différents. Qu’il s’agisse du Yi-King ou des permutations, plus le nombre d’éléments disponibles est grand, plus le nombre de combinaisons possibles explose. On peut donc potentiellement construire d’innombrables entités à partir d’un nombre limité d’éléments ; ce qui est aussi le cas des jeux d’écritures dont nous disposons pour former nos mots et inscrire nos informations. Les hexagrammes du Yi-King sont une forme d’écriture binaire, car le duo Yin/Yang s’identifie au duo 1/0 de l’informatique et que leurs caractères peuvent être répétés à loisir. De leur côté, les permutations s’apparentent plus aux écritures alphabétiques dans lesquelles on dispose d’un jeu de caractères plus important (0, 1, 2, 3, 4, 5…, ou A, B, C, D, E, F…) et que la possibilité d’y répéter les caractères au sein d’un même mot est, dans une certaine mesure, limitée – là où elle est carrément interdite dans les permutations.

Comme pour les hexagrammes du Yi-King et les systèmes d’écriture en général, la notion d’ordre est fondamentale pour les permutations. C’est l’importance accordée à l’ordre dans lequel sont rangés les éléments qui fait que ABCDEF est jugé différent de FABCDE. 

L’ordre est à la base de ce qui fait une information, comme il l’est de la vie organisée et des variétés présentes dans la nature. Un assemblage brut de carbone, d’oxygène et d’hydrogène ne fait pas nécessairement une molécule chimique, ou un organisme, dignes d’intérêt. C’est la manière dont s’agencent ces atomes qui confère à une molécule ou une cellule, une fonction reconnaissable et mobilisable par un organisme. De la même manière, le mot « mutabor » ne signifie rien, là où le mot « tambour », lui, est porteur d’une information mobilisable au sein d’un certain système langagier.

Dans ce cadre, les permutations – et la combinatoire en général – apparaissent comme constitutives d’un espace informationnel potentiel. La liste complète des permutations nous donnent le nombre maximum – ou l’abondance – de blocs informationnels que l’on peut construire à partir d’un jeu d’éléments et de règles données.

Étant construits à l’aide de combinaisons de caractères, les nombres eux-mêmes n’échappent pas à cette règle. Des nombres tels que “101”, “-9”,  “3,14159”, “3 – 2i”… s’écrivent tous à partir d’un jeu de caractères élémentaires : 0, 1, 2, 3, 4… et, “+”, “-“, “,”, “i”… C’est d’ailleurs aussi le cas des différents systèmes de coordonnées utilisés en mathématiques pour repérer des objets dans l’espace (coordonnées cartésiennes (x, y, z), sphériques  (r, θ, φ) etc.).

Mots, nombres et coordonnées, sont autant de systèmes de gestion d’informations, ayant chacun des caractéristiques et règles propres, des avantages et des inconvénients. Ainsi pour nous repérer, que ce soit dans un réseau sémantique (mots) ou un espace mathématique (nombres) nous utilisons des combinaisons de caractères. Vue de cette manière, les permutations et les mutagrammes sont plus que de simples jeux combinatoires, ils sont aussi une manière d’appréhender la beauté du lien qui existe entre information, ordre et espace.